Affacturage : réglementation européenne applicable en France

L’affacturage, mécanisme financier qui permet aux entreprises de céder leurs créances commerciales à un établissement spécialisé, le factor, s’est considérablement développé en France et en Europe. Cette technique de financement à court terme, encadrée par un dispositif réglementaire complexe, représente un levier majeur pour la trésorerie des entreprises françaises. L’environnement juridique de l’affacturage s’articule autour d’un corpus normatif européen transposé en droit français, créant un cadre harmonisé mais néanmoins complexe pour les acteurs du marché.

Fondements juridiques de l’affacturage dans l’Union européenne

L’encadrement juridique de l’affacturage au niveau européen repose sur plusieurs textes fondamentaux qui structurent cette activité dans l’ensemble des États membres, dont la France. Le droit européen a progressivement élaboré un cadre permettant d’harmoniser les pratiques tout en laissant certaines spécificités aux législations nationales.

La Convention d’UNIDROIT sur l’affacturage international, adoptée à Ottawa en 1988, constitue le socle initial de la réglementation. Bien que n’étant pas spécifiquement européenne, cette convention a inspiré les législateurs européens en définissant l’affacturage comme un contrat conclu entre un fournisseur et un factor, par lequel le fournisseur cède au factor des créances nées de contrats de vente de marchandises.

Au niveau strictement européen, le Règlement Rome I (CE n°593/2008) joue un rôle déterminant en établissant les règles applicables aux obligations contractuelles en matière civile et commerciale. Ce texte détermine la loi applicable aux contrats d’affacturage transfrontaliers, élément primordial pour sécuriser les opérations internationales. L’article 14 de ce règlement traite spécifiquement de la cession de créance et de la subrogation conventionnelle, mécanismes juridiques au cœur de l’affacturage.

La Directive 2011/7/UE concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales a indirectement renforcé l’attrait de l’affacturage en imposant des délais de paiement stricts. Cette directive, transposée en droit français, a créé un environnement favorable au développement de l’affacturage comme outil de gestion des délais de paiement.

Le statut réglementaire des factors en droit européen

Le cadre prudentiel applicable aux sociétés d’affacturage s’inscrit dans l’architecture réglementaire européenne des services financiers. Les factors sont soumis à plusieurs régimes selon leur nature :

  • Les factors ayant le statut d’établissement de crédit sont régis par le règlement CRR (Capital Requirements Regulation) et la directive CRD IV (Capital Requirements Directive)
  • Les factors non bancaires peuvent être qualifiés d’établissements financiers soumis à des règles spécifiques
  • Certains factors peuvent opérer sous le statut d’établissement de paiement conformément à la Directive sur les services de paiement (DSP2)

La Banque Centrale Européenne et le Mécanisme de Surveillance Unique exercent un contrôle sur les factors de taille significative, tandis que les autorités nationales comme l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) en France supervisent les acteurs de moindre envergure.

Le cadre européen s’est progressivement enrichi avec l’adoption de normes techniques réglementaires précisant les exigences en matière de fonds propres, de gestion des risques et de reporting prudentiel. Ces dispositions visent à garantir la solidité financière des factors et à protéger les entreprises utilisatrices de ces services.

Transposition et spécificités du droit français de l’affacturage

L’intégration du cadre européen dans le système juridique français a donné naissance à un dispositif réglementaire spécifique pour l’affacturage. La France a non seulement transposé les directives européennes mais a développé des mécanismes juridiques propres qui caractérisent le marché français de l’affacturage.

En droit français, l’affacturage s’appuie principalement sur deux mécanismes juridiques : la cession de créances professionnelles par bordereau Dailly (articles L.313-23 à L.313-35 du Code monétaire et financier) et la subrogation conventionnelle (article 1346 du Code civil). Le mécanisme Dailly, spécificité française, offre une simplicité opérationnelle appréciée par les factors et leurs clients. Il permet une cession simplifiée des créances professionnelles avec date certaine, opposabilité aux tiers et absence de formalités de notification au débiteur cédé.

La transposition de la Directive 2011/7/UE s’est traduite par l’adoption de la loi n°2012-387 du 22 mars 2012, dite loi Warsmann, qui a renforcé les dispositions relatives aux délais de paiement. Cette évolution législative a indirectement stimulé le recours à l’affacturage comme solution de financement à court terme et de protection contre les retards de paiement.

Sur le plan prudentiel, les sociétés d’affacturage françaises sont soumises au contrôle de l’ACPR et doivent respecter les dispositions du Code monétaire et financier. L’article L.511-1 de ce code qualifie l’affacturage d’opération de banque, ce qui implique que les factors doivent disposer d’un agrément d’établissement de crédit ou être rattachés à un groupe bancaire, sauf exceptions spécifiques.

Régime fiscal et comptable de l’affacturage en France

Le traitement fiscal et comptable de l’affacturage en France présente des particularités notables :

  • En matière de TVA, les commissions d’affacturage sont soumises au taux normal, conformément à l’article 256 du Code général des impôts
  • Le Plan Comptable Général français prévoit des règles spécifiques pour la comptabilisation des opérations d’affacturage, tant chez le cédant que chez le factor
  • Les cessions de créances à titre de garantie (affacturage avec recours) et les cessions parfaites (affacturage sans recours) obéissent à des traitements comptables distincts

La Commission des normes comptables a émis plusieurs avis précisant le traitement comptable des opérations d’affacturage, en cohérence avec les normes IFRS applicables aux sociétés cotées. L’évolution des normes comptables internationales, notamment IFRS 9 sur les instruments financiers, a influencé les pratiques françaises en matière de décomptabilisation des créances cédées.

Ces spécificités françaises s’inscrivent dans le cadre harmonisé européen tout en préservant des mécanismes juridiques nationaux qui ont fait leurs preuves dans le financement des entreprises.

Évolutions récentes du cadre réglementaire européen

Ces dernières années, le cadre réglementaire européen de l’affacturage a connu des modifications substantielles visant à renforcer la stabilité du secteur financier tout en favorisant le financement des entreprises, particulièrement des PME. Ces évolutions témoignent de la volonté des instances européennes d’adapter la réglementation aux enjeux économiques contemporains.

Le règlement (UE) 2017/2402 établissant un cadre général pour la titrisation a eu un impact majeur sur le secteur de l’affacturage. Ce texte, applicable depuis janvier 2019, a créé un label de titrisation simple, transparente et standardisée (STS) qui permet aux factors de refinancer leur portefeuille de créances dans des conditions optimisées. Les opérations de titrisation de créances commerciales bénéficiant du label STS sont soumises à des exigences en capital moins contraignantes, ce qui favorise le développement de l’affacturage à grande échelle.

La Directive (UE) 2019/1023 relative aux cadres de restructuration préventive a apporté des clarifications sur le traitement des contrats d’affacturage en cas de procédures d’insolvabilité. Cette directive, dont la transposition en droit français s’est achevée en 2021, renforce la sécurité juridique des opérations d’affacturage en situation de difficulté financière du cédant.

Le Plan d’action pour l’Union des marchés de capitaux, adopté par la Commission européenne en septembre 2020, identifie l’affacturage comme un outil de financement alternatif à promouvoir pour les PME. Ce plan prévoit plusieurs initiatives visant à faciliter l’accès des entreprises à l’affacturage transfrontalier et à harmoniser davantage les règles applicables à ces opérations.

L’impact du règlement général sur la protection des données

L’entrée en vigueur du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) en mai 2018 a transformé les pratiques opérationnelles des sociétés d’affacturage. Les factors, qui traitent des données personnelles relatives aux débiteurs cédés et aux représentants des entreprises clientes, doivent désormais :

  • Mettre en œuvre des mesures techniques et organisationnelles appropriées pour protéger les données
  • Documenter leur conformité au travers de registres de traitement
  • Informer les personnes concernées sur l’utilisation de leurs données
  • Désigner, dans certains cas, un Délégué à la Protection des Données

Cette réglementation a nécessité d’importants investissements de la part des sociétés d’affacturage pour adapter leurs systèmes d’information et leurs processus. L’Association Française des Sociétés Financières (ASF) a élaboré des guides de conformité spécifiques à l’affacturage pour accompagner ses membres dans cette transition réglementaire.

Les évolutions réglementaires récentes témoignent d’un double mouvement : d’une part, un renforcement des exigences prudentielles et de protection des données, d’autre part, une volonté de faciliter le développement de l’affacturage comme outil de financement des entreprises dans le marché unique.

Défis réglementaires et perspectives pour l’affacturage digital

La digitalisation accélérée du secteur de l’affacturage pose de nouveaux défis réglementaires tant au niveau européen que français. L’émergence des fintechs spécialisées dans l’affacturage digital et le développement de plateformes de marketplace lending incluant des solutions d’affacturage transforment profondément le paysage concurrentiel et réglementaire.

Les innovations technologiques comme la blockchain et les contrats intelligents (smart contracts) offrent des perspectives de transformation radicale pour l’affacturage. La Commission européenne a reconnu ce potentiel dans sa stratégie pour la finance numérique adoptée en septembre 2020. Cette stratégie prévoit l’élaboration d’un cadre réglementaire pour les actifs numériques qui pourrait s’appliquer à la tokenisation des créances commerciales, ouvrant la voie à de nouvelles formes d’affacturage décentralisé.

La proposition de règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) constitue une première étape vers l’encadrement de ces innovations. Bien que principalement axé sur les crypto-actifs, ce texte aura des implications pour les solutions d’affacturage utilisant la blockchain pour la certification et le transfert des créances commerciales.

En parallèle, le règlement eIDAS 2 (Electronic Identification, Authentication and Trust Services) en cours de révision vise à renforcer le cadre juridique des signatures électroniques et de l’identification numérique. Ces dispositions sont primordiales pour sécuriser les contrats d’affacturage conclus en ligne et les cessions de créances dématérialisées.

La supervision des nouveaux acteurs de l’affacturage

L’arrivée de nouveaux acteurs pose la question de leur supervision prudentielle. Les fintechs d’affacturage peuvent opérer sous différents statuts réglementaires :

  • Intermédiaires en financement participatif (IFP), encadrés en France par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et l’ACPR
  • Établissements de paiement ou de monnaie électronique
  • Agents ou courtiers travaillant pour le compte de factors traditionnels

Le règlement européen sur le financement participatif (ECSP), entré en vigueur en novembre 2021, crée un cadre harmonisé pour certaines plateformes de financement alternatif, y compris celles proposant de l’affacturage participatif. Ce règlement institue un passeport européen qui permet aux plateformes agréées d’opérer dans l’ensemble de l’Union européenne.

La France a anticipé ces évolutions en adaptant son cadre réglementaire. L’ACPR a publié en 2020 des lignes directrices sur les exigences applicables aux fintechs proposant des services d’affacturage. Ces orientations clarifient notamment les conditions dans lesquelles une plateforme d’affacturage digital doit obtenir un agrément d’établissement de crédit ou peut opérer sous un statut allégé.

La régulation de l’affacturage digital s’inscrit dans une démarche d’équilibre entre innovation et protection. Les régulateurs européens et français cherchent à favoriser l’émergence de nouveaux modèles tout en garantissant la stabilité financière et la protection des entreprises utilisatrices.

Perspectives d’harmonisation et défis futurs pour le marché européen

L’harmonisation des règles applicables à l’affacturage au sein du marché unique demeure un objectif prioritaire pour les institutions européennes. Malgré les avancées réglementaires, plusieurs obstacles juridiques freinent encore le développement de l’affacturage transfrontalier, créant des disparités significatives entre les marchés nationaux, dont celui de la France.

La Commission européenne a identifié dans son évaluation d’impact accompagnant le plan d’action pour l’Union des marchés de capitaux plusieurs barrières au développement de l’affacturage paneuropéen. Les différences dans les règles d’opposabilité des cessions de créances aux tiers constituent l’un des principaux obstacles. Pour y remédier, la Commission a proposé en mars 2018 un règlement sur la loi applicable à l’opposabilité des cessions de créances. Cette proposition, encore en discussion, vise à déterminer quelle loi nationale s’applique lorsqu’une créance est cédée dans un contexte transfrontalier.

L’harmonisation des procédures d’insolvabilité représente un autre défi majeur. Malgré le règlement (UE) 2015/848 relatif aux procédures d’insolvabilité, des divergences subsistent quant au traitement des créances cédées en cas de faillite du cédant ou du débiteur. Ces différences créent une insécurité juridique qui limite l’appétence des factors pour les opérations transfrontalières.

Le Parlement européen a adopté en février 2021 une résolution appelant à une harmonisation plus poussée des règles civiles et commerciales affectant l’affacturage. Cette résolution souligne l’importance de l’affacturage pour le financement des PME et invite la Commission à proposer un cadre juridique unifié.

L’affacturage dans le contexte de la relance économique post-pandémie

La crise sanitaire liée à la COVID-19 a mis en lumière l’importance de l’affacturage comme outil de financement résilient. Les mesures de soutien adoptées pendant la pandémie ont inclus des dispositifs spécifiques pour l’affacturage :

  • Garanties publiques pour les opérations d’affacturage, notamment via la Banque Européenne d’Investissement
  • Assouplissement temporaire de certaines exigences prudentielles pour les factors
  • Inclusion de l’affacturage dans les programmes de soutien aux entreprises

En France, Bpifrance a renforcé son offre d’affacturage avec garantie publique pour soutenir les entreprises pendant cette période difficile. Ces mesures ont confirmé le rôle stratégique de l’affacturage dans le maintien des chaînes de valeur et l’approvisionnement en liquidités des entreprises.

Dans le contexte de la relance économique, la Commission européenne envisage d’intégrer davantage l’affacturage dans sa stratégie industrielle révisée. Le développement de l’affacturage inversé (reverse factoring) et des programmes de financement de la chaîne d’approvisionnement (supply chain finance) fait l’objet d’une attention particulière, notamment pour leur contribution potentielle à la résilience des chaînes de valeur européennes.

L’évolution future du cadre réglementaire de l’affacturage s’orientera vraisemblablement vers une harmonisation accrue, une adaptation aux innovations technologiques et une meilleure intégration dans les politiques de développement économique. Les factors devront naviguer dans un environnement réglementaire en mutation tout en saisissant les opportunités offertes par la transformation digitale et l’intégration croissante du marché européen.